Introduire les jeux coopératifs en classe⚓
Depuis plusieurs années, les enseignants s'efforcent d'engager tous les élèves dans les taches d'apprentissages. Ainsi, les enseignants mettent en application l'apprentissage coopératif qui consiste à faire travailler les élèves en groupe et à créer entre eux une synergie. Il se révèle bénéfique pour le rendement scolaire, le développement des habiletés sociales et sur l'estime de soi (Abrami et al., 1996) et aussi pour la mémorisation.
Les élèves sont responsabilisés dans la mesure où chaque membre du groupe apporte sa propre contribution afin d'atteindre l'objectif visé (Baudrit, 2005). Une interdépendance positive est créée au sein du groupe : les élèves ont plus de chance d'atteindre un objectif quand un des membres du groupe l'a atteint à l'inverse de ce qui est observé dans une structure compétitive (Abrami et al., 1996).
La classe coopérative est un lieu où sont favorisées les valeurs d'entraide entre les élèves dans les apprentissages. Mais cela ne va pas de soi. Il ne suffit pas de mettre les élèves ensemble pour qu'ils travaillent en groupe. Comme pour un autre savoir, il s'agit d'apprendre aux élèves à travailler en groupes: « cela demande un travail et une implication qui correspondent à un véritable projet devant être annoncé aux élèves pour qu'ils le partagent avec le maître » (DeVecchi, 2006). Il s'agit de faire prendre conscience aux élèves de l'intérêt qu'il y a à travailler en groupe.
Le développement de ces compétences requiert un véritable apprentissage en proposant des activités allant dans ce sens (Connac, 2010). Cette démarche est également approuvée par Gérard De Vecchi (2006) qui écrit que le travail de groupe passe forcément par un apprentissage et par une démarche où il s'agit « de faire éprouver le besoin d'entrer » dans une activité de travail en groupe.
Philippe Meirieu rejoint ce propos en mettant en avant les dangers du travail par groupe laissé libre : « s'en remettre à ce que chaque enfant désire faire, c'est laisser jouer les inégalités, laisser la répartition des tâches se décider à partir des expériences antérieures ». Il est donc illusoire de croire que des groupes de travail entre élèves peuvent fonctionner directement de manière démocratique et autonome accédant directement au savoir (Meirieu, 2010). Il émet des doutes sur la confiance qu'accorde le pédagogue Roger Cousinet au travail libre par groupe, en cette « confiance absolue mise dans l'enfant (...) imperméable aux influences et déterminismes psychologiques ».
En ce sens, les jeux coopératifs peuvent être une entrée intéressante dans l'apprentissage du travail en groupe. Ces jeux permettent de favoriser les interactions positives entre élèves. Ces derniers peuvent s'engager pleinement dans l'activité et s'autoriser la prise de risques. Dans ces situations de jeu à plusieurs, l'enfant va échanger, confronter ses idées et tenir compte du point de vue de l'autre (Druart et Wauters, 2013).
Cette entrée par les jeux coopératifs où tous les joueurs doivent s'entraider pour gagner permet de faire ressentir aux élèves l'intérêt de travailler en groupe. Les jeux coopératifs montrent aussi qu'il n'est pas nécessaire d'avoir des gagnants et des perdants dans les activités à l'école.
Par ailleurs, certains temps de l'année scolaire peuvent être plus propices que d'autres à l'organisation de jeux coopératifs au sein de la classe. Pierre Cieutat et Sylvain Connac suggèrent notamment d'utiliser ce type de jeux lorsque des difficultés à travailler collectivement sont observées chez les élèves. Le recours au jeu peut alors être un levier, dès lors qu'on analyse avec les élèves la manière dont s'est déroulé le jeu et l'importance du collectif comme facteur de réussite.
Les jeux coopératifs peuvent être introduits également en début d'année pour permettre aux élèves de se présenter, mieux se connaître (entre élèves et enseignant-élèves). Les jeux coopératifs proposés aux élèves ont alors pour objectif de leur permettre de faire connaissance, tout en offrant à l'enseignant un temps d'observation des élèves en situation. A ce titre, le défi « chamallow » paraît justement adapté.
L'escape game ou jeu d'évasion
Des propositions ludiques du type escape game sont particulièrement appropriées. Elles permettent de créer une cohésion entre les élèves qui, une fois répartis en équipes, sont amenés à résoudre des énigmes. Leur résolution nécessite l'implication de chacun et une certaine coordination au sein des équipes, le jeu se déroulant dans un temps limité. La résolution finale est ainsi vécue comme une récompense de la réflexion menée collectivement.
D'autre part, l'escape game, s'il est bien construit fait appel à différentes compétences où chaque élève peut s'y retrouver pour une tâche qui lui est adaptée. En ce sens, ce type d'activité coopérative, favorise l'intelligence collective et permet la différenciation pédagogique.
Le défi « chamallow »
Ce défi consiste à construire en 10 minutes la structure la plus haute possible avec à son sommet le « chamallow », à partir du matériel suivant : vingt spaghettis, un « chamallow », un rouleau de scotch et un mètre de ficelle. Les élèves sont répartis pour cette activité en groupes de quatre. Aucune piste de résolution n'est donnée.
Ce défi peut aussi bien être proposé à des élèves, des étudiants, qu'à des adultes. Il est intéressant de procéder à une mise en commun à l'issue du défi, afin d'identifier les facteurs de réussite ainsi que les difficultés rencontrées dans ce travail de groupe.
Exemple :
Exemple de réalisation/adaptation de ce défi (PDF) en établissement scolaire.
Ce défi est intéressant à proposer en début d'année pour mieux connaître les élèves dans le sens où il fait ne fait appel à aucun pré requis disciplinaire. L'enseignant peut observer les comportements des élèves sur une situation problème. Il pourra ainsi se servir de ces observations pour mieux constituer des groupes de différenciation.
Mener des séances⚓
Avant de se lancer dans des temps effectifs de jeu en classe, quelques préalables sont à envisager.
Se procurer des jeux
Les jeux présents dans la classe ne sont pas toujours suffisants pour faire travailler plusieurs groupes en même temps sur des compétences ciblées. Il est possible de solliciter différents réseaux :
les ludothèques spécialisées ;
les médiathèques qui disposent de plus en plus d'un espace jeux spécifiques ;
les Ateliers Canopé ;
l'OCCE pour les jeux de coopération ;
les médiathèques des ÉSPÉ ;
les écoles de proximité.
Il est également possible de demander aux élèves d'apporter des jeux personnels, en ciblant au préalable les thématiques de jeux souhaitées, et en s'assurant, avant de les proposer aux élèves, qu'ils permettront bien d'atteindre les objectifs fixés pour le temps de jeu.
Organiser l'espace classe
Les temps de jeux nécessitent un aménagement de la classe de type îlot si l'on souhaite que les élèves se lancent rapidement dans l'activité. Le temps de l'installation du jeu et de la compréhension de la règle ne doit pas se faire au détriment du temps de jeu. Afin d'être plus rapide sur cette étape, il est possible de faire visionner aux élèves la vidéo de règle du jeu via une tablette. Plusieurs sites proposent ainsi de courtes vidéos présentant de manière explicite des parties de jeu. Pour ne pas avoir l'URL à saisir, il est pratique de positionner sur les boîtes de jeux un QR code renvoyant vers la vidéo en question. Certains éditeurs de jeux comme Haba intègrent désormais un QR code directement sur la boîte. La mise en place fréquente de situations de jeux au sein de la classe permet d'identifier des élèves « experts » qui sont en mesure d'expliquer les règles aux autres. Une médiation par les pairs peut alors se mettre en place.
Organiser des ateliers
La répartition des élèves en atelier doit être bien réfléchie en amont. Voici quelques questions à se poser.
Quelle(s) compétence(s) va/vont être au centre des situations ludiques ?
Combien de jeux adaptés ai-je à ma disposition ?
Quelle répartition des élèves dois-je mettre en place ?
La durée d'une partie est-elle la même pour ces différents jeux ?
Comment vais-je organiser la mise en commun ?
Quelle trace écrite pourra être gardée à l'issue de ce temps de jeux ?
Intégrer le jeu dans sa progression
Dès la construction de sa progression pédagogique, il est possible de sélectionner des jeux en lien avec les compétences qui seront travaillées. Sachant qu'en cours double, un même jeu peut être utilisé avec différents niveaux d'élèves, dès lors que l'on met en place les variables didactiques nécessaires. L'usage des jeux de coopération en classe trouve d'autant plus de sens quand il associe différents niveaux d'élèves pour assurer une plus grande cohésion au sein du groupe classe.
Le jeu peut être introduit à différents moments d'une séquence d'apprentissage : pour introduire une notion, pour la consolider ou encore dans une optique de remédiation ou de différenciation.
Adopter une posture adaptée
L'enseignant a un rôle de médiateur lors de l'introduction du jeu dans sa séquence, il va ainsi :
présenter les différents éléments du jeu ;
expliquer les conditions de fin de partie, ainsi que les règles qui y conduisent.
Ces deux points pourront être menés par un élève lors des séances suivantes.
Au cours de la partie, il n'oriente pas le déroulé du jeu par ses interventions, en indiquant quelle action doit être menée pour gagner, mais il peut interroger les élèves afin de comprendre leurs choix. À la fin de la partie, l'enseignant donne la parole aux élèves pour qu'ils analysent leur partie. Dans le cadre d'un jeu de coopération, cette phase est particulièrement importante. Elle permet de s'assurer ou non de la contribution de chacun au temps de jeu qui vient de se dérouler et offre des pistes de réajustements sur la stratégie à mener lors des prochaines parties.
Proposer des variables⚓
Qu'est-ce qu'une variable didactique ?
On parle de variable didactique en situation d'apprentissage lorsque l'enseignant introduit des variantes déclenchant une modification dans les stratégies des élèves et amènent à adopter de nouvelles règles. Ces adaptations peuvent être décidées en cours d'apprentissage, elles permettent alors soit de simplifier, soit de complexifier une action, une tache, favorisant la construction des savoirs.
Ces variables didactiques mettent en jeu une connaissance de l'enseignant et l'appréciation qu'il fait de celle des élèves. Il appréhende ces modifications en les introduisant dans le déroulement de la tache initiale. La manipulation de ces variables impose une adaptation du comportement de l'élève face à la tâche qu'il mène.
Cette terminologie, appliquée dans le champ d'apprentissage des mathématiques, désigne un paramètre de la situation qui peut prendre plusieurs « valeurs » selon la décision de l'enseignant. Une variable didactique est un élément dont la modification est susceptible d'agir sur le processus de résolution que les élèves vont adopter et donc sur l'apprentissage. Ainsi, on peut choisir, dans un problème mathématique, d'ajouter dans la consigne des éléments inutiles à sa résolution, afin de mesurer la capacité des élèves à prélever et à organiser les informations nécessaires à la résolution de problèmes. Cette variable peut complexifier la résolution.
La manière de présenter un exercice (texte, schéma) ou encore les outils mis ou non à disposition des élèves pour le résoudre sont des variables. L'enseignant peut par exemple autoriser les élèves à recourir à l'utilisation de la calculatrice pour effectuer des divisions ou des multiplications nécessaires à la résolution d'un problème. En allégeant la tâche représentée par les calculs à effectuer, l'enseignant permet aux élèves de se consacrer à l'explication de leur procédure et à la rédaction de leur réponse par exemple. Les attendus de l'enseignant sont alors différents.
Quelle application aux jeux ?
Dans le cadre de l'utilisation des jeux, les variables proposées portent principalement sur le matériel proposé dans le jeu (nombre et caractéristique) et les règles du jeu (complexification/simplification).
Les variables didactiques sont parfois proposées dans les règles du jeu. Le plus souvent, c'est l'enseignant qui les invente et les construit par anticipation aux difficultés que pourront rencontrer les élèves, ou par adaptation à des constats effectués lors de parties de jeux.
Exemple du jeu de coopération « Hop ! Hop ! Hop ! » (Djeco)
Si l'enseignant constate qu'une partie (20 minutes environ) est un peu trop longue pour ses élèves de cycle 1 qui ont des difficultés pour rester concentrés, il peut par exemple agir sur :
le matériel en enlevant des moutons aux neuf initialement prévus dans le jeu ; il y en aura ainsi moins à conduire jusqu'à la bergerie ;
le matériel en ajoutant un dé à constellations ou une roue qui déterminent le nombre de moutons que l'on peut déplacer à chaque fois, plutôt que de les déplacer un par un ;
les règles en définissant, comme condition de fin de partie, le fait que les moutons aient quitté la partie du plateau qui matérialise la prairie et soient sur le pont ou dans la bergerie.
Complément :
En savoir plus sur le jeu Hop ! Hop ! Hop !